Wednesday, July 26, 2006
Les grands cimetières sous la lune / Georges Bernanos
Catholique à la foi ardente, Bernanos réside à Majorque « parce que le prix du bœuf et des pommes de terre y est encore abordable »,de 1934 à 1937 où il vit les heures les plus noires de la guerre civile espagnole ... Et c'est en catholique qu'il dénonce les atrocités de la répression anti-républicaine, stigmatisant avec une rare violence le dévoiement de l'épiscopat rangé aux côtés du général Franco ; le regard qu'il porte à l'occasion sur la société et les bien-pensants évoque irrésistiblement l'imagerie buñuelienne.

EXTRAITS :

"Voilà une petite île bien calme, bien coite dans ses amandiers, ses orangers, ses vignes. La capitale n'a guère plus d'importance qu'une vieille ville quelconque de nos provinces françaises. La seconde capitale, Soller, n'est qu'un bourg. Les villages isolés les uns des autres, perchés à flanc de montagne ou disséminés dans la plaine ne communiquent entre eux que par de mauvaises routes, ou de rares pataches, au moteur essoufflé. Chacun de ces villages est un monde fermé, avec ses deux partis, celui des « Prêtres », et celui des « Intellectuels », auquel s'agrège timidement celui des ouvriers. Il y a encore le châtelain, qu'on ne voit d'ailleurs qu'aux beaux jours, mais qui connaît ses têtes, a noté depuis longtemps les mauvaises, en compagnie du curé son compère. N'importe ! La gentillesse des moeurs espagnoles fait que ce monde-là vit d'accord, danse ensemble les soirs de fête. Du jour au lendemain, ou presque, chacun de ces villages a eu son comité d'épuration, un tribunal secret, bénévole, généralement ainsi composé :

le bourgeois propriétaire, ou son régisseur, le sacristain, la bonne du curé, quelques paysans bien-pensants et leurs épouses, et enfin les jeunes gens hâtivement recrutés par la nouvelle phalange, trop souvent convertis d'hier, impatients de donner des gages, ivres de l'épouvante qu'inspirent tout à coup, à de pauvres diables, la chemise bleue et le bonnet à pompon rouge."